Pérou : L’ascension d’un volcan …ou la bonne leçon du débutant

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Pérou

Rendez-vous à 8h00 ce matin. Assez tendu, je n’ai quasiment pas dormi de la nuit, aujourd’hui c’est le grand jour. Depuis le début de mon stage ici à Arequipa j’y pense sans vraiment trouver le temps ou la force de tenter l’expérience. Depuis plus de 2 mois et demi, je l’observe à travers la fenêtre de ma chambre, il fait partie du paysage quotidien mais sa présence est devenue une obsession. Cette fois-ci il est trop tard, pas de moyen de faire marche arrière, dans moins de 24h je serais à 5822 mètres d’altitude dans le cratère de notre cher Misti, le seul volcan actif des 3 géants qui dominent la ville.

Au point de rendez vous, je fais connaissance avec le groupe. En les regardant tous, j’ai déjà l’impression d’avoir loupé une étape. Bâtons de marche, vêtements de trekking, sac de randonnée dernier cri…moi je n’ai que mes bonnes vieilles chaussures de rando et mon précieux sac à dos qui m’accompagne partout depuis plusieurs années…"Qu’est ce que je fais ici ? Je me suis peut être un peu trop précipité…"

Une heure et demie plus tard nous voici au pied du Misti, l’un des volcans les plus dangereux du monde pour sa proximité avec un foyer de population important. Il est en effet littéralement situé aux portes d’Arequipa, qui compte près de 900 000 habitants, et le net dénivelé entre la ville située à 2300 mètres d’altitude et son sommet pourrait démultiplier l’étendue des substances se répandant du volcan si éruption il y avait. Un géant qui impose pourtant respect et admiration à tous ceux qui passent par la ville blanche, et ce depuis l’époque des incas qui lui offrirent certains des leurs en sacrifice pour apaiser ses colères. Il s’est en effet plusieurs fois réveillé pour faire trembler la région qu’il recouvrit d’un centimètre de cendre en 1454, plus tard en 1985 et en 2001 des fumerolles témoignèrent encore de son activité.

Nous attaquons  l’ascension à partir de 3200 mètres délaissant progressivement la terre sèche, où la végétation parvient encore à survivre, pour un parcours toujours de plus en plus irrégulier de roches et de sentiers caillouteux dont la teinte vire lentement au gris noir du sable volcanique. Plus nous montons, plus la température ambiante baisse, mais en pleine marche le froid se fait peu sentir grâce à un soleil puissant qui nous réchauffe depuis les profondeurs d’un ciel bleuté sans un seul nuage.

Après 4 ou 5 heures de marche nous atteignons le camp de base à 4600 mètres d’altitude. De part la montée de plus en plus raide et la diminution de l’oxygène, les dernières centaines de mètres se sont quand même fait bien sentir. Une bonne soupe de légumes et un petit plat de pâtes avant de se coucher et nous voilà prêts pour un bon dodo. Une fois le soleil passé de l’autre côté du volcan, la température chute brusquement et nous incite encore plus à aller nous réfugier au chaud dans nos sacs de couchage, il est 18h00.

Quelques heures plus tard …et beaucoup de degrés en moins.

00h30 "Holas chicos, levantense..." (Debout tout le monde, réveillez-vous). Ça c’est Alex, l’un des deux guides. Il se tient là, à l’entrée de notre tente, dans un vent glacial et nous sourit, "vamos a caminar un poco amigos" (Nous allons marcher un petit peu les amis). Il vient nous tirer de la chaleur de nos duvets pour attaquer la partie la plus dure de l’ascension, 1200 mètres nous attendent jusqu’au cratère. Pas habitué à me coucher si tôt, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. A cette heure là un petit soroche (mal des montagnes) se fait son effet et mon estomac m’indique clairement qu’il interdira le passage à toute denrée alimentaire et donc à toute précieuse calorie. Complètement novice en matière d’ascension de sommets (dans ma Bretagne natale, le maximum c’est 384 mètres !:-) je commets à ce moment là une erreur monumentale en ne me forçant pas à manger. En ce qui concerne notre joyeuse équipée, les pertes sont lourdes, deux randonneurs resteront au campement victimes d’un mal des montagnes assez prononcé.

Emmitouflés, empaquetés, saucissonnés dans nos 5 à 6 couches de vêtements, 3 à 4 litres d’eau dans nos sacs, la lampe frontale de chacun éclairant les chaussures de celui qui le précède, notre colonne se met en route pour une ascension de 5 à 6 heures. La marche se fait lente mais régulière et le vent glacial brûle la moindre partie de peau exposée à nue. Il n’y a que de la roche et du sable volcanique sous nos pieds et les traditionnels parcours en zig-zag du premier jour ont laissé la place à de lourdes roches à escalader suivies de désespérantes pentes sablonneuses où la moitié de l’énergie dépensée dans un pas est perdue. Les haltes se font plus régulières mais sont de courtes durée tellement le froid nous saisit de sa morsure sans pitié au moindre arrêt de l’effort physique.

L’oxygène se fait de plus en plus rare, et nous commençons vraiment à en ressentir les effets. Même en marchant lentement mon cœur prend le rythme de celui d’un cheval au galop et ma respiration se fait haletante…je m’en veux de plus en plus pour toutes ces cigarettes fumées. Toujours rien dans l’estomac à part la traditionnelle infusion typique des Andes à bases de feuilles de coca utilisée contre le mal des montagnes, ces même feuilles de coca que je me suis calé dans la joue et qui m’ont jusqu’à maintenant fourni l’énergie nécessaire à la marche. La lune éclaire légèrement notre environnement mais il est cependant difficile de deviner à quelle distance du but nous sommes. Derrière nous, en contrebas, la belle Arequipa scintille de milles lumières blottie au fond de sa vallée et dominée par les masses sombres et imposantes des montagnes qui l’entourent.

Aux alentours des 5000 mètres je commence à me sentir faible, comme si mes piles se déchargeaient rapidement. Me doutant bien que le manque de calories fait son effet, je tente d’ingurgiter quelques fruits secs. Rien à faire, je ne peux rien avaler ! Après quelques tentatives infructueuses, j’abandonne complètement l’idée de manger et enfourne une pleine poignée de feuilles de coca dans ma bouche. Celles-ci font leur effet pendant un temps mais le manque de sucre dans le sang se fait désormais puissamment sentir. Je m‘assois, complètement vidé et laisse le groupe passer…le cauchemar peut commencer.

Je ne peux désormais faire qu’une vingtaine de mètres à travers les rochers avant de m’asseoir, le cœur tambourinant dans la poitrine et les jambes tétanisées aussi dures que du bois. A chaque pause, je m’endors et fait un court rêve de quelques secondes dont je ressors brusquement giflé par le vent glacial. Secouant la tête pour me réveiller, pendant un court instant j’oublie presque que je suis là-haut, sur ce cher Misti en pleine randonnée et à plus de 5000 mètres d’altitude. J’hésite plusieurs fois à redescendre tellement la fatigue m’envahit mais l’obsession qui a grandi en mois ces dernières semaines est plus forte que tout, il faut que j’atteigne le cratère!

Commence donc la lente et pénible dernière partie de l’ascension. Des marches d’une vingtaine de mètres suivies de pauses de 3 ou 4 minutes lors desquelles je maudis l’instant où j’ai décidé de ne rien ingurgiter avant le départ. Sur la dernière centaine de mètres, je ne m’assois plus, je m’étale littéralement dans le sable volcanique de la piste. J’essaie de reprendre une respiration normale, attendant que mes jambes engourdies reprennent vie, puis me relève …et 15 à 20 mètres plus loin, rebelote.

J’arrive au sommet sur les rotules, vidé, exténué, à ramasser à la petite cuillère…mais heureux ! Là haut, sur le toit du monde, nous découvrons la gueule du monstre : un premier cratère de 900 mètres de diamètres dans lequel nous pénétrons pour découvrir le second de 500 mètres de diamètre d’où les fumeroles qui s’en élèvent peuvent atteindre les 200 degrés c°. Mon œil est attiré par deux rectangles dessinés par un alignement de pierres à même le sol. Comme je l’apprendrai par la suite, ce sont les tombes de 6 momies, 3 petits garçons et 3 petites filles âgées de 8 à 13 ans, sacrifiés au temps des incas. Depuis le sommet, la vue est saisissante et les souffrances endurées lors de la montée sont amplement récompensées. Petit îlot de verdure au milieu de cet océan stérile de montagnes et de roches volcaniques parsemé de canyons, Arequipa la blanche défie un paysage lunaire et inhospitalier. On se demande pourquoi les espagnols se sont installés là en 1540, car au-delà des limites de la ville, tout n’est que néant…mais un néant d‘une beauté saisissante !

Ce soir, alors que la nuit tombe sur les hauts plateaux, rassasié d’émotions fortes et ayant bien compris qu’aucune ascension ne s’attaque à la légère, j’observe le Misti se draper du rouge du soleil couchant à travers la fenêtre de ma chambre. En regardant sur ma gauche je devine l’imposante masse du Chachani (6075m) et de ses fascinantes neiges éternelles…une autre ascension en perspective !

Josselin Le Boursicot – Arequipa, Pérou

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