Vous connaissez sûrement les lamas et leur légendaire tendance à cracher sur leurs ennemis. Mais avez vous déjà entendu parlé des alpagas? De la famille des camélidés, ils sont les cousins méconnus des lamas. Ce sont des créatures douces et câlines, aux grands yeux marrons, que vous pourriez caresser pendant des heures si vous en aviez l’occasion… Comme les dauphins, les alpagas semblent exercer une attraction presque magique sur ceux qui posent leurs yeux sur eux.
Des centaines de photos de ces animaux si doux recouvrent la toile : les photos des bébés alpagas les plus mignons et les compils de coiffures les plus déjantées plaisent à tous les âges. Pour la plupart des gens, ces rencontres virtuelles déclenchent une envie folle de d’enfouir leur mains dans cette laine duveteuse (et de ne jamais plus la lâcher). C'est la première idée qui leur vient à l'esprit lorsque l'on mentionne les alpagas.
Cependant, en Equateur, quand on pose la question “Quels sont les avantages des alpagas ?”, la réponse des locaux est unanime : la laine. Certain vous dirons également que les alpagas peuvent être consommés : ce qui est vrai. En Europe, les alpagas sont principalement élevés pour leur laine mais sont aussi utilisés comme animaux de thérapie. Cette star montante d'internet, aussi considérée comme "l'or des Andes" dans sa région d'origine, voit sa côte de popularité augmenter rapidement en France. De nouvelles fermes d'alpagas ouvrent et offrent parfois même des séances de yoga en compagnie de ces animaux.
Mais alors, que peuvent-bien faire les alpagas pour l’environnement ? La réponse est : bien plus que vous ne le pensez.
Tout d’abord, un peu d’histoire. Les habitants des pays andins du Pérou, de l'Équateur et de la Bolivie vivent ensemble avec des vigognes -également un camélidé, des alpagas et des lamas depuis des milliers d'années. Afin de profiter de leur laine et de leur viande, il y a plus de 2 200 ans, les Péruviens ont d'abord commencé à domestiquer l'alpaga, puis les autres camélidés comme animaux de ferme.
Cependant avec la conquête de l'Amérique du Sud par les Espagnols, les alpagas, notamment des Andes équatoriennes ont été supprimés et remplacés par des moutons. L’espèce a même frôlé l’extinction. Les nouveaux produits tricotés à base de laine de mouton par la population indigène étaient transportés puis vendus jusqu'en Espagne. Cependant, l'introduction de ce nouveau système de production intensive a entraîné de sérieux changements dans la flore et la faune locales.
Jusqu'à la fin des années 90, les habitants des Andes équatoriennes possédaient beaucoup plus de moutons que d'alpagas. Les familles pauvres possédaient environ 80 moutons et les familles plus riches jusqu'à 800. Bien que l’élevage de moutons ait été une activité rentable pendant la période coloniale espagnole, le prix de la laine a rapidement baissé dans les années 90.
Dans les Andes aujourd'hui, la laine d'un mouton ne vaut plus que 30 dollars. A titre comparatif, la laine d'alpaga a une valeur locale pouvant aller jusqu'à 800 dollars. Elle présente l'avantage de ne pas se déformer, de ne pas s'électrifier et d'être plus facile à nettoyer que la laine de mouton. Elle est également beaucoup plus durable et garde sept fois plus chaud que la laine normale, ce qui en fait l'une des fibres animales les plus fines (et les plus chères) au monde. La laine d'alpaga blanche convient même aux personnes allergiques à la laine traditionnelle - un vrai miracle !
Le Paramo est le nom donné au fragile écosystème, principalement végétal, présent dans les Andes équatoriennes mais aussi en Colombie, au Vénézuela et dans le nord du Pérou. A la fin du 16ème siècle, cette végétation, constituée principalement de d'arbustes nommés Chuquiragua, a vastement été remplacée par des pâturages pour l’élevage de plus de 1,400,000 moutons. Les nouveaux arrivants se nourrissant de la plante, ainsi que de leurs racines, et provoquant l’érosion du sol avec leurs sabots, le Paramo ressembla à un désert dès la fin du 19ème siècle. Les moutons ont causé des dommages si considérables à la nature équatorienne que dans les années 1980, l’état équatorien intervient.
En 1987, le gouvernement déclare donc le Paramo comme réserve naturelle. Dans la région du volcan Chimborazo, par exemple, toutes les terres de plus de 3 800 m d'altitude sont déclarées zone protégée. Cela signifie qu’au-delà de ce niveau, aucune terre ne peut être cultivée, aucun mouton ou bétail détenu, même si la terre est une propriété privée. Seuls les animaux tels que les vigognes ou alpagas sont autorisés à être élevés.
Petit à petit, profitant du fait que les gros bovins ne soient plus présents dans les hauteurs, une espèce animale se remet à se déplacer librement dans les Andes : la vigogne, animal en voie de disparition. Les vigognes, comme les alpagas n'endommagent pas le Paramo. Au contraire, ils l'aident à survivre ! Leur fumier est un engrais naturel pour le sol et peut également être utilisé par les agriculteurs comme fumier pour le maïs et les haricots. Contrairement aux moutons, ils ne grignotent que les pousses des Chuquiragua et laissent intactes le reste de la plante et ses racines. De plus, leurs sabots sont munis d'une sorte de coussin en mousse afin de ne pas endommager le sol.
A moins de 3.800m d'altitude, selon la loi, l’élevage de moutons et de bétail était toujours autorisé dans la région de Chimborazo et des zones pouvait être cultivées. Mais l'élevage excessif de moutons et ses conséquences tel que la modification du paysage de Paramo, n'ont pas seulement déclenché les nouvelles lois sur la protection de la nature, mais ont également insufflé une prise de conscience de la part de la population locale. Les plantes de Chuquiragua qui servaient comme bois de chauffage avaient pratiquement disparu et les habitants ne pouvaient plus s'autofinancer avec le produit de la viande et de la laine de leurs moutons. Il leur fallait trouver un plan !
Le problème que la plupart des communautés autour du volcan Chimborazo rencontraient dans les années 90 était le suivant : l'alpaga et le vigogne avaient quasiment disparus d'Équateur. Presque plus personne ne gagnait sa vie avec la laine de moutons. C'est ainsi que les communautés se sont rapprochées lentement de l'élevage traditionnel de l'alpaga.
Pour cela, des étalons alpaga ont été spécialement importés du Pérou afin de relancer l'élevage équatorien. Les différentes communautés ont envoyé des représentants chez leur voisin afin de sélectionner des animaux de valeur afin de relancer leur propre élevage.
Les vigognes sont déclarées propriété de l'Etat bien que les communautés environnantes soient autorisées à tondre les animaux sauvages sur leur territoire, à transformer et à vendre leur laine. Les alpagas sont eux élevés en troupeaux de petite à moyenne taille, les communautés bénéficiant de leur laine et de leur viande.
Le commerce de la laine rend l'alpaga doublement profitable pour les communautés. En effet, c'est une bonne source de revenus car ses produits se vendent beaucoup mieux que la laine de mouton. De plus, les alpagas favorisent la régénération et la protection du Paramo.
Il y a désormais plus de 7 200 vigognes seulement dans la réserve naturelle volcan Chimborazo. Pour les curieux qui se décideraient à se balader au delà des 3.800m de hauteur, il est toujours possible de voir des troupeaux comprenant jusqu'à une centaine d'alpagas, dont l'élevage est autorisé à cette hauteur.
Rouge-brun, beige, miel, noir, blanc crème… Au total vingt-deux teintes différentes brillent à la lumière du soleil et promettent l'espoir pour la nature et pour les Équatoriens. Bien que les alpagas les aient aidés à se remettre sur pieds, pour les communautés autour du volcan Chimborazo, ces nounours duveteux sont avant tout une chose : les sauveurs du Paramo.
Mignon, utile et bien réel... Et si l'alpaga devenait la nouvelle licorne ?