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Petites chroniques fantaisistes d'un grand voyage en Équateur

Rédigé par Alice Wyseur | 22 sept. 2017 07:52:35

Chers lecteurs, nous vous partageons le récit d'un voyageur, Yannick Nédélec, qui a visité l'Equateur du 15 au 30 juillet 2017, avec Viventura. A la fois touchant et piquant, nous vous souhaitons une bonne lecture ! 

 

 

A

Christophe

Danielle 

Florence 

Françoise

Guillaume 

Isabelle 

Julien 

Pierre-Olivier 

Richard 

et Annie, bien sûr...

 

et à Paul, notre guide suprême

à Chari, « notre gentille chauffeur »

à Luis, notre « capitan »

 

Équateur   2017

 

Traversée de l'Atlantique

 

Voyage sans histoire.

Mais un voyage sans histoire est-il encore un voyage ?

Voyage très long. D'autant plus qu'un voyage sans histoire très long en devient terriblement long. Des heures et des heures sans le moindre imprévu. Le ronronnement interminable de l'avion au dessus de l'océan. Tous les quarts d'heure, pour s'occuper, on regarde sur le petit écran la position, l'altitude, la vitesse... La vitesse est impressionnante et pourtant la position ne semble pas changer, et l'altitude est imperturbablement calée. Du coup la seule position qui change est celle du passager : léger basculement sur la fesse gauche pour soulager la fesse droite...

Après tant d'heures monotones, on se réjouit presque d'avoir, contre toute attente, à récupérer ses bagages à l'escale de Quito et à les promener dans l'aéroport au gré des consignes aléatoires et contradictoires de divers employés serviables mais peu informés. Enfin de l'action ! Et puis, le petit épisode ne durant que dix minutes, il ne reste plus qu'à recommencer l'attente. Regarder des gens qui passent. Observer mollement d'autres voyageurs qui patientent mollement en regardant des gens passer... Regarder sa montre, calculer le décalage horaire et se dire qu'on devrait être couché. Mais il reste encore quelques heures...

Enfin Guayaquil. Enfin sortir et sentir cette chaleur, cette moiteur des soirées équatoriales ! Enfin avoir une vraie bonne raison de transpirer ! Parce que depuis le matin, on transpire d'immobilité et de confinement, on sue à ne rien faire, à baigner dans son jus, vissé à son fauteuil, dans le même habitacle étanche que des centaines d'autres voyageurs. Là, enfin, on va les mériter, nos auréoles sous les bras ! La vie reprend, la vie exotique qu'on espérait, avec ses trottoirs poussiéreux, ses autochtones à l'arrière des pick-up et ses motos polluantes avec trois passagers. Les fils électriques pendent par grappes dans les ruelles sans goudron, des chiens errent entre les sacs poubelles, des jeunes avec des smartphones croisent des vieilles avec des chapeaux traditionnels. Sous des publicités géantes de multinationales, on aperçoit les affiches naïves et délavées des politiciens locaux. A moins que ce ne soit des réclames pour shampooing...

Épuisé par ces heures où il ne s'est rien passé et ces minutes où il a basculé dans une autre partie du monde, le voyageur s'écroule sur son lit d'hôtel. Après avoir réglé le climatiseur.

 

***

Première rencontre avec des habitants de Guayaquil : ils sont plutôt petits, assez laids, paresseux, le regard vide. Les plus actifs grimpent aux arbres, les autres se prélassent sur l'herbe. Leur peau est recouverte d'une sorte de tissu terne imitation lézard. Ils arborent une crête écaillée, et une escalope inutile pendouille sous leur menton. Ces iguanes sont confinés dans un parc, minuscule espace vert urbain orné d'une inévitable statue de Simon Bolivar, dont la tête est très appréciée des pigeons.

Une grande ville un dimanche matin est paisible et morne comme une sous-préfecture de province. Les magasins sont fermés, les habitants n'ont pas le courage de se lever, quelques automobiles errent pour faire un peu de bruit. Les déchets du samedi soir attendent d'être ramassés. Le fleuve Guayas charrie des herbes, une ou deux branches. Une pirogue le remonte. On espère voir passer un cadavre ou frissonner à l'apparition d'une tête de crocodile, mais non. Dimanche matin, le fleuve est long et tranquille. L'activité se trouvera peut-être dans un vieux quartier populaire. Les touristes gravissent les marches de la favela, par la ruelle autorisée. De vigile en vigile, la voie est balisée, il ne peut rien se passer. Pour l'aventure, il faudrait s'écarter du chemin, aller faire son curieux dans l'envers du décor, là où les visiteurs sont loin d'être les bienvenus. Alors on va quand même jeter un œil, à distance, et on n'ose pas prendre la photo. Courageux mais pas téméraire...

 

 

De grands champs de bananes, de cacao, de cannes à sucre et de riz dans la région des montagnes

 

 

Les routes des plaines équatoriales ont toutes l'air de se ressembler. La seule différence entre l'Afrique et l'Amérique, c'est qu'en Amérique il n'y a pas tous ces gens qui marchent au bord des routes, portant d'invraisemblables chargements sur la tête. Mais on retrouve les mêmes plantations de canne à sucre, de bananiers ou de cacaotiers. Et dans les traversées de villages, on retrouve les mêmes étalages de fruits, les mêmes vieilles bagnoles sur trois roues devant des échoppes de garagistes bricoleurs. Et les mêmes ruelles poussiéreuses en dehors du grand axe goudronné. Les chiens sales y cohabitent avec les poules. Des mobylettes y zigzaguent entre les ornières.

Quand le grand axe arrive sur une vraie ville, il s'élargit, s'orne de grands panneaux incitant à la prudence. Les chiens traversent, les camions ne veulent pas freiner, les bus font une pause sans se ranger. Les restaurants s'alignent de part et d'autre, vrais restaurants mais aussi abris de fortune avec quelques bancs autour de tables bancales recouvertes de toiles cirées poisseuses.

Et puis la route quitte la plaine, monte, monte, au dessus des nuages, au dessus de la grisaille, de la poussière des ruelles, de la chaleur miséreuse. A plus de 4000 mètres, le touriste sort une petite laine, hume un grand bol d'air frais et s'étonne de recevoir si peu d'oxygène dans les poumons. Il grimpe hardiment quelques marches jusqu'au belvédère, et lui qui se croyait en pleine forme se retrouve essoufflé, à la fois oppressé et exalté pour sa première photo de la Cordillère des Andes.

 

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Le touriste venant en Équateur ne s'attend sans doute pas à voir tant de vaches sur tant de pâturages verdoyants. Les montagnes françaises offrent des paysages bien semblables. La différence essentielle est que les vaches d'ici ne s'appellent plus Marguerite ou Noiraude, mais Chicha ou Kapachihuapanga. Ce qui ne veut rien dire mais résonne absolument Inca. L'autre différence est que les fermières d'ici portent des petits chapeaux, des lainages colorés et des jupes brodées. Elles mesurent un mètre quarante-cinq, ce qui est une taille idéale pour elles étant donné que leurs maris mesurent un mètre soixante. Les indigènes croisés dans les champs ou dans les villages ressemblent parfaitement aux images vues dans les vieux livres ou même dans les récents reportages à la télévision, et ainsi le touriste derrière sa vitre de minibus est enchanté de voir que la réalité correspond à son rêve. Il a l'impression de voir des paysages pyrénéens habités par des descendants de la grande civilisation Inca. Le mélange est épatant. Le touriste a le sourire aux lèvres, l'émerveillement dans le regard et l'appareil-photo à la main.

Mais, s'il est rassuré que tout soit comme prévu, il reste avide d'aventure, d'anecdotes croustillantes, de grains de sable dans la machine. Et il retient à peine un gloussement de satisfaction quand un pneu éclate à la nuit tombante, loin de l'hôtel programmé ! Le pneu coupable devient vite le pneu béni. On constate les dégâts, délicieusement inquiet, on prend en photo le caoutchouc déchiqueté, on frémit à l'idée d'une réparation de fortune dans un improbable garage sale et sombre... Comme en Équateur il n'y a pas de problème, il n'y a que des solutions, l'histoire finit effectivement chez un vulcanisateur crasseux de bord de route. Pour une fois, personne n'en profite pour faire une pause toilettes !

Tous les voyages exotiques passent par des gares routières pleines d'ornières, de flaques d'huiles de vidange, de poussière noire et de marchands ambulants, ou bien par des échoppes de mécano pleines de pneus entassés. Là encore, l'incident de parcours a conduit vers un grand classique du périple lointain. Classique, certes, mais pas annoncé dans le programme ! Il y aura forcément une manière amusante de narrer l'épisode, photo du pneu à l'appui...

 

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L'homme est vraiment insensé. Il met une obstination inépuisable à relever des défis grandioses, à réaliser des rêves impossibles ou à concrétiser des délires d'ivrognes. « Tiens, tu vois la montagne, là ? Tu vois le canyon où même une chèvre hésiterait à passer ? Eh bien je te parie que dans moins de dix ans j'y fais rouler un train ! » Tope là ! Et quelques années plus tard, après avoir consommé bon nombre d'esclaves, usé de cordes vertigineuses, de dynamite et d'une ingéniosité téméraire, un train brinquebalant reliait la montagne et la mer. Cent ans plus tard, un descendant de ce train héroïque promène des touristes, d'une jolie gare avec boutiques de souvenirs jusqu'à un fond de vallée avec cafétéria, danse folklorique et lama décoré. Pendant le trajet, des dizaines de mains tendues hors des fenêtres prennent les mêmes photos du torrent en contrebas.

L'arrivée à Guamote se fait dans les secousses sur une route mal empierrée. Les maisons de briques sont plus ou moins achevées. Le centre-ville offre un décor de western. Une voie ferrée passe devant des maisons aux façades recouvertes de planches mal ajustées, des chiens traînent entre les rails, des hommes vêtus de ponchos descendent des rues défoncées. On serait à peine surpris d'entendre l'homme à l'harmonica. On guette l'arrivée d'une diligence...

Mais on ne voit venir qu'une fillette qui pousse quelques moutons, et on n'entend qu'un marchand de glace dans sa vieille camionnette qui laisse hurler sa sono. Des baraques délabrées sont décorées de posters de jeunes filles pimpantes prêtes pour l'élection de Miss Guamote. Des bâtisses craquelées sont peintes à la gloire du président. Les touristes ont quartier libre dans ce décor qui ne figurera jamais sur aucune carte postale. Quelle chance ils ont tout de même, quand on pense à tous ceux qui s'ennuient sur des plages !

 

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Oui, bien sûr, la Cordillère des Andes peut évoquer les temps héroïques de l'Aéropostale.  On peut même repenser aux Survivants, qui mangeaient leurs compagnons morts dans l'accident d'avion. Mais le touriste estival européen qui promène sa valise en Équateur ne s'imagine pas complètement en train de grimper au ralenti, le souffle court, au milieu des flaques de neige et des filets d'eau glacée, apercevant ça et là des croix en hommage aux escaladeurs disparus, dans un décor minéral balayé de nuages. Chimborazo ! Le nom lui-même est merveilleux. « J'ai grimpé à 5000 mètres sur le flanc du Chimborazo », ça claque sacrément mieux que « j'ai fait une rando sympa vers le col des Rousses » ! Croiser des vigognes, c'est autre chose qu'apercevoir des marmottes ! Chimborazo ! Un nom victorieux que personne ne connaît, qui impressionnera vos amis autant qu'Aconcagua, peut-être même autant que Kilimandjaro ou Annapurna. Vos amis qui n'oseront plus vous raconter leurs vacances en Ardèche.

Même si l'expédition ne vous justifie pas le titre d'Andiniste, aller lever les bras pour la photo à 5045 mètres, c'est bien autre chose qu'une promenade. On se rend vite compte que si on se baisse pour renouer un lacet, on se relève essoufflé. Alors on n'essaie pas trop de faire le malin. On avance en cohorte lente. On relève souvent la tête car le paysage change sans cesse au gré des nuages qui découvrent des crêtes, envahissent des vallons, puis envahissent des crêtes  et découvrent des vallons. Et enfin, là-haut, au refuge, là où finit le randonneur et où commence le montagnard, on ne sait plus si l'on préfère regarder vers le haut le chemin qu'on ne fera pas ou bien évaluer vers le bas le chemin parcouru... Mais comme le touriste apprécie surtout les panoramas, il contemple au loin en contrebas les vastes pentes désertiques où jouent des lumières mouvantes. Le cœur bat vite, à cause de l'altitude mais un peu aussi par l'émotion d'avoir accompli une chose rare dont il se souviendra sans doute longtemps. Mais il faut bien redescendre vers les villes. C'est là que l'homme y a adapté sa vie. L'air y contient à la fois plus d'oxygène et plus de pollution. Les poumons s'en trouvent plus à l'aise, et tant pis si l'âme y perd beaucoup de hauteur.

Contraste terrible : quelques heures après avoir goûté l'ivresse des sommets Andins, on peut se retrouver à flâner dans une bourgade touristique envahie par le mauvais goût. Baños est surchargée de bars clinquants, de vitrines d'organisateurs de sensations fortes, de snacks, de devantures de tee-shirts... Le commerce bat son plein, le Chimborazo est déjà loin, les belles vigognes sauvages du matin ne sont plus que de pauvres peluches à dix dollars.

 

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Pachamama ! La forêt amazonienne où il semble impossible de survivre contient pourtant tout ce qu'il faut pour vivre. On peut y attraper les pires maladies et  y trouver les plus formidables remèdes, y rencontrer les insectes les plus inquiétants et les papillons les plus merveilleux. On y découvre des feuilles grandes comme des nappes, des troncs durs comme des roches, des lianes longues comme des haubans. Les plantes portent des noms quichuas impossibles à retenir, mais dont la consonance est déjà magique. La choukapawak soigne la laryngite, la miniangpitsou guérit les migraines, le kabaksouyo fournit le shampooing et la simbikouga offre le papier toilette. Il me semble que la pankazanouy bleue désincarne les ongles. Cela reste à vérifier, mais on peut se laver les dents avec la sève du kouganpihua et colmater des fissures avec celle du tchimboué. A moins que ce ne soit le contraire. Celui qui n'est pas sûr évitera de se brosser les dents avec une pâte à cimenter les brèches.

Comme le touriste européen n'est sûr de rien dans cette exubérance de la nature, il ne touche à rien ! Il aimerait regarder en l'air pour apercevoir des perroquets sous la canopée, mais il fait surtout attention aux endroits où il pose les pieds. Et s'il manque de glisser sur un peu de boue, il mouline des bras plutôt que de s'accrocher à une branche sur laquelle risquerait de se promener une colonie de grosses fourmis.

Pachamama !

Même l'homme blanc, habitué aux supermarchés et aux journaux télévisés, habitant dans un lotissement et gagnant sa vie dans un bureau, peut ressentir la prière à la Pachamama. Il lui suffira d'une cascade puissante, d'un rai de soleil ardent, du grondement de l'eau et des mille nuances de vert autour de lui, il lui suffira de soumettre son dos à l'énergie du torrent, pour crier « Pachamama ! » avec la même sincérité qu'un indien d'Amazonie. Sans doute pas avec la même profondeur de croyance, mais avec une réelle émotion qui n'aura rien de folklorique.

L'homme qui se prétend civilisé parce qu'il a tourné le dos à la nature, parce qu'il s'entasse dans des villes immenses où quelques arbres survivent dans des squares, parce qu'il a un magnifique téléviseur où il peut admirer des paysages sauvages, cet homme moderne et pressé a toujours au fond de lui le désir de retrouver le lien avec la Terre nourricière. Ce désir est souvent noyé sous un océan d'habitudes confortables et de facilités technologiques, mais il peut suffire d'une promenade initiatique en forêt primaire pour que remontent les émotions essentielles d'une communion avec la Pachamama...

Certes, il a bien conscience que ces instants de grâce et d'énergie sont éphémères dans sa vie, et qu'il retrouvera vite le béton, le boulot, les factures, la nourriture en boîte et la pharmacie chimique. Mais au moins, son âme aura un peu compris la possibilité d'une autre vie, la nécessité d'une écologie pratique. L'expérience fera un souvenir, et le souvenir sera bien plus qu'un album de photos.

 

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L'européen citadin du vingt et unième siècle est devenu le touriste de son passé : lorsqu'il découvre ailleurs une scène qui était encore banale dans son pays il y a cinquante ans, il dégaine son appareil photo et s'extasie devant l'événement typique. Des vaches qui descendent d'une bétaillère, des cochons qui protestent d'être attachés trop serrés, des poules entassées dans des cages ou des canetons qui pépient dans des boîtes, il n'y avait rien de plus quotidien du temps de la grand-mère ! Et les marchés aux bestiaux donnaient bien plus de vie que les courses au supermarché ! Moins de vie aux bêtes, certes, mais plus aux hommes. Ces foires deviennent une attraction touristique ! Il faut dire qu'à Otavalo, ce n'est pas vraiment le cochon ou la chèvre qu'on vient photographier, c'est le propriétaire et l'acheteur. C'est le quichua trapu et basané, avec son petit chapeau et sa queue de cheval tressée. C'est la quichua fripée, toute menue et toute solide, avec son corsage blanc brodé traditionnel. L'européen déambule, doublement étranger à ce bruyant commerce d'un autre âge. Il tend l'oreille pour saisir le prix du cochon d'inde, il tend la main pour prendre une photo en plongée, il ne tend pas suffisamment le pied pour éviter la bouse...

Quelques rues plus loin, le marché artisanal le mettra plus à son aise. Il retrouvera sa fonction première qui est d'acheter à pas cher des souvenirs colorés pour décorer la salle à manger ou avoir enfin un cadeau original à offrir à belle-maman pour Noël. Autant il se sentait incongru entre les moutons, car il n'était pas envisageable d'en acheter, autant il assume pleinement son rôle de touriste entre les hamacs et les ponchos, car là, les stands n'attendent que lui ! La vraie bonne affaire serait de trouver un vêtement en véritable alpaga, à prix raisonnable et bien marchandé. Mais il comprend vite qu'il y a trois sortes d'alpaga : l'alpaga de grande qualité, rare et cher, l'alpaga de qualité moyenne, qu'on appelle aussi coton, et l'alpaga de mauvaise qualité, dénommé acrylique. L'acheteur sait bien qu'il se fera sans doute un peu avoir, mais du moment que ça a l'air doux au toucher...

 

Volcan Chimborazo

 

Les volcans d’Équateur, en plus d'avoir des noms merveilleux, ont des histoires délicieuses. Le père Imbabura aurait trompé la mère Cotopaxi avec la voisine Cayambé. Vous imaginez bien que tout cela se passe à des hauteurs divines, voisinant les cinq mille mètres, et que les touristes lointains seraient malvenus d'en juger la véracité. Ni même la crédibilité. Toujours est-il que Cotopaxi en eut beaucoup de chagrin et qu'elle fondit en sanglots. Ces larmes remplirent un cratère, pour former une très belle lagune sur laquelle des petits bateaux promènent des étrangers qui ont payé pour recevoir des embruns et être frigorifiés à l'ombre des falaises. Mais que les photos seront belles !

 

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A Quito, les quatre côtés d'une grande place carrée sont bordés par la mairie, l’archevêché, le palais présidentiel et la cathédrale. Si la place avait été hexagonale, on aurait pu ajouter le commandement suprême des armées et le ministère des finances, ce qui aurait été bien pratique. Ce principe de regroupement de tous les éléments de pouvoir n'est pas si original que cela puisque dans nos villages français, la place centrale est entourée par l'église, la mairie et le café des sports. On y voit aussi depuis quelques temps une banque et une agence immobilière. Mais il faut avouer que dans une grande capitale, l'idée est plus spectaculaire. Pourrait-on imaginer le palais de l’Élysée, Notre-Dame et la mairie de Paris côte à côte ?

Au cœur de tous ces bâtiments considérables, la place de l'Indépendance de Quito grouille de promeneurs, de chanteurs, de prédicateurs en tous genres. L'entourage est solennel, voire pompeux, mais l'intérieur est bon enfant, reposant et festif.

A quelques pas de là, des vieilles femmes habillées de crasse et de fatigue mendient à la porte d'une église. A l'intérieur de l'église, tout n'est que dorures, sculptures, bois précieux, œuvres monumentales. La richesse et la démesure dedans, les haillons d'une triste vie juste dehors. La visite de l'église donne à la fois l'émerveillement, l'incompréhension et l’écœurement. Comment des hommes ont-ils pu bâtir un tel temple délirant, accumulant tant de chefs d’œuvres mystiques ? Comment a-t-on pu avoir  tant de patience, d'obstination et de génie pour un édifice aussi grandiose et triste, aussi lumineux et lugubre à la fois ? Et tout ça pour un dieu qui reste malgré tout assez hypothétique, pour le culte et l'illustration prodigieusement luxueuse d'une simple croyance. Mais surtout comment a-t-on pu accumuler tant de trésors à l'intérieur en laissant tant de misère à l'extérieur ?! Comment supporter l'insolente démesure ecclésiastique bâtie sur la pauvreté et la crédulité du peuple ? Ces visites touristiques de cathédrales impressionnantes font juste regretter à certains l'interdiction d'y prendre des photos, mais pour d'autres elles nourrissent un sentiment de malaise. Tous ces grands bâtisseurs, peintres et sculpteurs, n'avaient rien de mieux à faire que de mettre leur art, leur vie, au service d'une religion incertaine et oppressante, et de gros archevêques brodés de fils d'or ?

 

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L'homme aime bien être à cheval sur quelque chose. A cheval sur un cheval, bien sûr, ou, pour les moins intrépides, à cheval sur les principes. Mais le plus excitant est sans doute d'être à cheval sur une ligne. Un pied d'un côté, un pied de l'autre. Une partie de soi a franchi la limite, l'autre reste raisonnable. L'aventure d'un côté, la sécurité de l'autre. Ainsi on se sent double, on ne sait de quel bord pencher, l'équilibre est à la fois précaire et réjouissant. C'est pourquoi les deux lignes mythiques que sont l'équateur et le méridien de Greenwich attirent tant de monde. Dans le parc de l'observatoire de Greenwich, des milliers de touristes se font photographier un pied à l'est, un pied à l'ouest. A la mitad del mundo, près de Quito, on se photographie aussi en nombre sur la frontière entre le nord et le sud. Aussi bien en longitude qu'en latitude, les panneaux 0°0'0'' ont un très grand succès. L'équateur est cependant plus intéressant car on peut y faire tenir un œuf sur un clou et changer le sens d'évacuation de l'eau en déplaçant de trois mètres une bassine. Ce sont tout de même des choses qui comptent dans une vie. Alors qu'à Greenwich, à part faire tomber son chapeau de l'est et le ramasser à l'ouest, on ne peut guère faire d'expérience amusante.

Il est certain que si un entrepreneur audacieux se mettait à construire une plate-forme en plein Atlantique au large de l'Afrique, exactement au croisement de l'équateur et du méridien 0, il pourrait faire fortune en accueillant beaucoup de touristes. Les paquebots y feraient un détour, et on verrait se succéder pour la photo les hommes doublement à cheval. A quatre pattes, les pieds au sud, les mains au nord, le côté gauche à l'ouest, le côté droit à l'est. Rien n'amuse tant l'homme que de s'exercer à la poutre sur une ligne hautement symbolique. Sans risque de tomber.

 

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Sur une colline fortement pentue, des rues montent tout droit. Le pourcentage doit avoisiner les 20 % et les lourds autobus bleus escaladent en crachant de la fumée noire. Des chiens poussiéreux traversent. Les maison de parpaing brut s'éparpillent en désordre. Le linge est étendu sur les toits entre les fers à béton qui dépassent. Tout là-haut, ou presque, une petite fondation accueille des enfants du quartier dans des petites pièces mal éclairées autour d'une courette en terre où flâne un chat squelettique. Des professeurs dévoués inculquent des règles de vie et des principes mathématiques. De temps en temps des touristes européens viennent offrir des crayons de couleur, prendre des photos, bien sûr, et chanter des contines. Les enfants applaudissent. Ils disent leurs prénoms. Comme dans tous les quartiers déshérités, on trouve des Kevin, des Bryan et des Kimberli. Les parents imaginent-ils vraiment qu'un prénom de série américaine est un gage de modernisme et un coup de pouce à l’ascenseur social ? Isabelle prend Damian sur ses genoux, Julien joue au ballon avec Diego, Annie fait des bisous à Milena et Evelin. Quelques instants de partage improbable, de complicité éphémère entre des gamins pauvres et des adultes riches venus de loin. Un petit morceau de vrai bonheur. Rapide, minuscule. Important.

 

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L'île San Cristobal aux Galapagos a des habitants étonnants. Je ne parle pas des hommes qui, ici, ne sont pas vraiment chez eux. L'homme est une espèce invasive, moins intéressante que les espèces endémiques. On trouve des oiseaux de la famille des fous qui ont des jolies pattes palmées en plastique bleu. Le mâle lance la conversation avec une sorte de sifflement raté, qu'on pourrait plutôt appeler un soufflement, et la femelle répond en imitant assez mal le canard. Le plus épatant est qu'ils ont l'air de se comprendre ! On trouve aussi des grandes frégates noires qui exhibent parfois une énorme baudruche rouge vif à la place du cou. Elles ressemblent alors à de gros notaires de province aux nez crochus qui auraient mis des serviettes écarlates sur leurs goitres. Les mâles font cela pour impressionner les femelles, qui doivent avoir des goûts bizarres... On trouve encore des iguanes marins à la petite tête carrée surmontée d'une vague crête piquante. Leur peau maladive est de la même couleur que les rochers de lave sur lesquels ils dorment. Ils sont là pour nous rappeler la préhistoire. Nul ne songerait à les caresser. En plus ils sont assez petits. Quitte à être laid, autant être énorme, pour vraiment impressionner, pour faire penser à Jurassic park ! Mais non, face à l'iguane, le touriste prend une photo par habitude, et passe son chemin.

 

Otarie des Îles Galápagos

 

Mais l'animal le plus formidable s'appelle l'otarie. Comment faire comprendre l'otarie à qui ne l'a jamais vue ? Échouée sur le sable, elle ressemble à un gros sac très lourd en toile cirée brune, enflé au milieu. A une extrémité, une double queue plate, et à l'autre une tête assez sympathique avec deux oreilles minuscules, des petits yeux curieux et des longs poils de moustache. Les femelles aussi ont de la moustache mais ne semblent pas en faire de complexe. L'otarie se déplace en se dandinant péniblement sur ce qu'elle croit être des pattes mais qui ne sont que des moignons plats. Elle pourrait donner de bonnes gifles. Hélas, pour se déplacer, c'est très inefficace, et disons le sans pour autant manquer de respect : sur terre, l'otarie est une handicapée. Elle a une démarche de cul-de-jatte. On aimerait lui offrir une caisse à roulettes. Quand elle est petite, elle bêle comme une chèvre. Quand elle est très grosse, elle rugit comme un lion. Moyenne, elle grogne comme un français de mauvaise humeur. Mais dès que l'otarie plonge dans l'eau, le miracle s'accomplit ! Tout en gardant le même volume imposant, elle devient agile, élégante, rapide, facétieuse. Elle fait la torpille, se roule dans le sable du fond de la mer, remonte à la verticale en souriant, nage à l'endroit, à l'envers, fait la planche en se grattant le ventre, s'amuse d'un rien ! Elle s'amuse même avec les touristes qui, en la circonstance, prennent le rôle des handicapés. Ils avancent lentement et prudemment avec leurs palmes artificielles, restent à la surface avec leurs masques et leurs tubas. Ils sortent de temps en temps la tête de l'eau pour prévenir toute la bande qu'ils ont vu une tortue. L'otarie slalome entre les jambes qui s'agitent. L'homme est ébloui par le spectacle !

 

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L'île Santa Cruz a elle aussi des habitants étonnants. D'une extrême lenteur, ils passent le plus clair de leur temps à grignoter de la verdure, ou parfois un fruit tombé de l'arbre. Leur seule distraction est d'aller se vautrer deux ou trois heures dans la boue. Une fois par an, ils vont passer des vacances à la plage, distante d'une quinzaine de kilomètres. Il y enterrent des œufs et puis remontent brouter. Le voyage dure cinq mois ! Ils ont des pattes énormes et une petite tête qu'ils tendent pour mieux apercevoir les touristes, puis qu'ils rentrent sous leur carapace pour marquer leur déception. Les plus gros peuvent peser jusqu'à deux cent cinquante kilos. Ils vivent ainsi deux siècles. Sans doute meurent-ils de lassitude, car croquer vingt kilos d'herbe par jour et n'avoir que la sieste dans la boue comme loisir, cela va bien un temps, mais on comprend tout à fait qu'au bout de deux cent ans on ait envie de passer à autre chose. De plus, être constamment engoncé dans une lourde carapace, même si c'est un abri très sûr, à la longue cela doit devenir extrêmement fatigant.

Voilà le sort peu enviable des tortues terrestres géantes des Galapagos. Les tortues marines ont plus de chance. Une fois dans l'eau, elles ont l'impression de peser cinq fois moins. Comme les otaries, elles croisent des touristes palmés. Mais elles ne jouent pas avec. Leurs cousines sur terre leur ont dit que cette espèce était sans intérêt, alors elles glissent dans l'océan avec une ostensible indifférence...

Les marchés aux poissons, en France, attirent les curieux surtout par leur volume sonore. La criée est un vrai spectacle, avec les voix aigres et puissantes des poissonnières au teint rougeaud, aux mains larges comme des nageoires et puissantes comme des rames, aux tabliers sanguinolents et aux grosses bottes en caoutchouc dur où traînent encore quelques algues. Pour ceux qui ont l'habitude de voir des grandes blondes en bikini comme argument de vente, c'est un choc ! Mais aux Galapagos, les poissonnières sont discrètes. Pas de harangues tonitruantes ni de dégaines de matrones. Ici, ce qui attire le monde, ce sont les pélicans ! Par dizaines ils viennent sur les étals tenter de voler des bouts de poisson. Les marchandes les chassent régulièrement d'un geste large, et les touristes, bien évidemment, prennent beaucoup de photos. Les casiers regorgent de langoustes. Les thons se débitent en tranches plus grandes que des poêles. Des rascasses roses et jaunes fleurissent le tableau. Et une otarie attend les miettes comme un chien sous la table. En arrière-plan, des barques à toits de toile tanguent au soleil. La carte postale est pleine de vie, appétissante et pittoresque à souhait. Elle raconte le travail des pêcheurs, l'acharnement des pique-assiettes et la curiosité des photographes...

 

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Aux Galapagos, tout est sous haute surveillance. Dès qu'un petit groupe se forme, il doit être accompagné par un guide assermenté, qui veillera à ce que personne ne s'écarte du droit chemin, n'emporte une poignée de sable dans sa poche ou une tortue dans son sac. Nous sommes ici bien au-delà de la banale interdiction de marcher sur les pelouses ! Tout semble interdit ! Un petit plaisir simple tel que grignoter des chips sur la plage est juste impensable ! Cueillir quelques fleurs pour faire un joli bouquet sur la table du salon est un crime impardonnable ! Approcher une otarie à moins de deux mètres est passible d'une amende, ou au moins d'un rappel à l'ordre. Quant à chanter des chansons le soir autour d'un feu de camp au bord de l'océan, n'y pensez même pas ! Qu'on se rassure tout de même : il est permis de dire à voix haute du mal du président ou de jouer au volley avec un ballon de foot. Les Galapagos sont une sorte de dictature écologique, un territoire où la nature a tellement peur des hommes que ceux-ci sont consignés dans des petits espaces surveillés. Il faut dire que les hommes lui ont fait tant de mal, à la nature... Imposer un régime écologique totalitaire, que les hommes semblent d'ailleurs accepter de bonne grâce, n'est peut-être pas une solution si critiquable... On pourrait même se demander s'il ne serait pas judicieux de l'étendre à bien d'autres territoires que les Galapagos. A la terre entière, pourquoi pas ! Si on veut stopper la disparition massive des espèces animales, le saccage des forêts, la souillure des océans et le réchauffement de l'atmosphère... Des millions de gardes verts seraient formés pour encadrer les milliards d'humains qui font n'importe quoi avec notre Pachamama. Mille vaches entassées dans une ferme-usine : prison à vie. Épandage de pesticides sur cultures intensives à moins de cinq kilomètres de ruches : dix ans de bagne. Utilisation d'une tapette à mouches : cent euros d'amende. Les Galapagos ont adopté une politique de vigilance extrême pour conserver intact leur patrimoine naturel classé comme un trésor de l'humanité. Mais serait-il aberrant de considérer la Terre entière comme un trésor de l'humanité ?

Heureusement, le gouvernement des Galapagos n'interdit pas aux touristes de prendre des photos (sans flash).

 

Iles Galapagos

 

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N'oubliez pas le guide !

Ah non ! Le guide est inoubliable. L'inca a donné son énergie positive, les européens repartent avec. Une certaine émotion flotte sur le groupe planté au milieu du hall d'aéroport. On échange des gentillesses en guise d'adieu. Chacun a le sentiment qu'il est bien dommage de se séparer d'un homme remarquable, mais l'éphémère était écrit dans le contrat, et il faut repartir vers ses habitudes, et retrouver des gens bien moins remarquables. Le voyage est toujours une parenthèse éclairée, parfois surexposée. La refermer n'est pas retourner à la grisaille mais emmener un peu de cette lumière exceptionnelle. Un bon guide est aussi un éclaireur. Merci Inca Paul (prononcer Paoul).

 

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Remettre le pied en Europe, c'est en même temps revenir en terrain connu et se confronter à des tracasseries en tous genres. Finalement, l’Équateur n'était pas si compliqué que cela car le pays a gardé une taille humaine où la nature reste fondamentale et où les codes de conduite ne semblent pas si difficiles à appréhender. Et le voyageur peut se retrouver plus désorienté à Madrid qu'à Quito ! L'aéroport de Madrid est incompréhensible. On sort de l'avion par la porte 568 du terminal 4S et il faut traverser un kilomètre de couloirs, prendre un ascenseur puis un métro puis des escalators pour aller récupérer ses valises à un autre terminal. De là, il faut remonter une série d'escalators pour arriver à des bornes informatiques auxquelles on ne comprend rien car en fait elles ne servent à rien. Après un contrôle de sécurité, on doit reprendre le métro pour rejoindre les portes M, où attendent de sinistres banquettes sur lesquelles on pourra s'ennuyer mais pas se restaurer. Car pour se restaurer, il faut reprendre le métro (si l'on trouve comment ressortir des portes M) et retourner d'où l'on vient. Après la pause déjeuner, bien sûr, on doit rejoindre de nouveau la porte M49 en métro après avoir repassé un contrôle de sécurité, et on ne compte plus le nombre d'escalators intermédiaires...

Le voyageur en voie d'épuisement, éveillé depuis plus de vingt-quatre heures, tombe sur une banquette dure et grise aux confins d'un hall gigantesque. Il affiche une expression entre le soupir fataliste et le sourire nerveux, et il repense à l'aéroport de Santa Cruz des Galapagos. A la place du métro, il y avait le petit bateau pour franchir le canal d'Itabaca. L'unique porte d'embarquement n'avait ni lettre ni numéro. On rejoignait la passerelle à pied dans un petit vent tiède. L'océan Pacifique en bout de piste...

Allez, refermons doucement la parenthèse, mais en laissant toujours passer un trait de lumière équatorienne...

 

 

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