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Journée internationale des peuples indigènes : rencontre avec Survival International

Rédigé par Robin | 9 août 2017 10:43:29

Avez-vous déjà entendu parler de la journée internationale des peuples indigènes ? Le 9 août est consacré à ces peuples autochtones, l'occasion pour nous (et pour vous) d'en savoir un peu plus sur ces populations. Nous avons rencontré Fiore Longo, une Argentine francophone chercheuse et coordinatrice chez Survival International, le mouvement mondial pour les droits des peuples autochtones, qui a bien voulu répondre à nos questions, dont on vous livre le contenu ci-dessous.

 

Bonjour Fiore, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? 

Je suis Fiore Longo, chercheuse et junior campaigner chez Survival International. Je suis coordinatrice de la campagne pour promouvoir un nouveau modèle de protection de la nature, qui respecte les droits des peuples autochtones. J’ai étudié l'anthropologie culturale et depuis mon terrain universitaire chez les Mapuches du Chili, j’ai toujours été engagée dans la défense des droits des peuples autochtones. Leurs modes de vie largement autosuffisants et d’une extraordinaire diversité constituent une richesse pour toute l’humanité.

 

Survival International existe depuis 1969. Pourquoi l'organisation a-t-elle été fondée ? Quels ont été vos plus grands succès ?

Notre organisation a été fondée à Londres en 1969 par un groupe de personnes scandalisées par le génocide des Indiens d’Amazonie, suite à la parution d’un article de Norman Lewis dans le Sunday Times Magazine.

Durant plusieurs années, nous n’avions que très peu ou pas de revenus et n’étions gérés que par des bénévoles. Nous avons publié des informations dénonçant les problèmes rencontrés par les peuples autochtones,nous avons soutenu des projets dans leurs communautés et avons fait pression pour défendre leurs droits lors de forums internationaux comme ceux des Nations-Unies.

Rapidement, nous nous sommes rendus compte que le seul moyen d’assurer la survie de ces peuples était de mobiliser l’opinion publique internationale en leur faveur. C’est ainsi que tous les mouvements progressistes sont parvenus à obtenir des changements durables, de l’abolition de la traite des esclaves il y a deux siècles à la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud.

 

© Survival International

 

Parmi nos succès les plus récents, je pourrais vous raconter qu’en mars 2017 une compagnie pétrolière s’est retirée des terres de tribus isolées en Amazonie, suite à une campagne de Survival.

Je pourrais aussi vous parler de la victoire de la tribu isolée des Kawahiva suite à la campagne de Survival: en avril 2016 après des mois de pression exercée par les sympathisants de Survival du monde entier, le ministre brésilien de la Justice a enfin pris des mesures pour sauver la tribu isolée des Kawahiva.

Enfin, un de nos plus grands succès est le cas de Dongria Kondh, en Inde. Les Dongria Kondh ont remporté une victoire héroïque contre le géant minier Vedanta Resources, sauvant ainsi leurs montagnes sacrées. En 2013, la Cour Suprême a signifié à Vedanta que les Dongria devaient décider eux-mêmes d’autoriser ou non l’exploitation minière sur la Montagne de la Loi. Les Dongria ont répondu par un ‘non’ sans équivoque. Survival a apporté son soutien aux Dongria et a fait pression sur le gouvernement indien, ainsi que sur celui du Royaume-Uni, pour arrêter le fonctionnement de la mine. Nous avons soumis des rapports détaillés aux Nations-Unies et à l’OCDE. Nous avons fourni des conseils juridiques aux Dongria et nos chargés de campagne ont passé plusieurs jours à échanger avec eux dans leurs communautés (nous avons aussi été menacés et agressés par des ‘casseurs’ pro-Vedanta). Notre film Mine sur la lutte des Dongria Kondh a créé le buzz en ligne.

 

Que signifie exactement le terme « population indigène »? Autrefois, on a parlé entre autres d’« Indien », qui aujourd'hui peut avoir une connotation négative. Quels groupes de personnes sont protégés par Survival International ? Quels sont, par exemple, « les sociétés tribales » ?

Il existe une très grande variété de termes pour désigner les peuples le plus communément appelés “indigènes”, “autochtones” ou “tribaux”. Bien que tous ces termes recouvrent des réalités identiques, aucun n’est entièrement satisfaisant. Il n’existe pas de consensus sur une définition universelle en raison de la diversité des situations et des enjeux politiques.

Si le terme “autochtone” (étymologiquement: “qui est issu du sol même où il habite, qui est censé n’y être pas venu par immigration”) est couramment employé par les instances internationales, l’Organisation internationale du Travail (OIT, une branche des Nations Unies) se réfère à “indigène”: “qui appartient à un groupe ethnique existant dans un pays avant sa colonisation”. Ainsi, l’article 1er de la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux qu’elle a formulée en 1989 établit une distinction entre deux types de bénéficiaires:
- “les peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont totalement ou partiellement régis par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;”
- “les peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’Etat et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles”.

 

© Survival International

 

Par “tribal”, l’OIT désigne les collectivités dites ethniques d’Asie et d’Afrique dont les modes de vie diffèrent de ceux de la société nationale. Elles diffèrent des peuples autochtones des anciennes colonies de peuplement européen. Sans faire l’unanimité au sein de la communauté internationale (seuls 20 pays l’ont ratifiée), la Convention est devenue une référence dans certains pays d’Amérique latine.

Quoi qu’il en soit, le terme “tribal” renvoie à une forme particulière d’organisation politique, loin d’être partagée par toutes les sociétés. Ce terme peut introduire la confusion et entretenir des idées fausses sur la nature et la structure de ces sociétés. De fait, dans certaines régions du monde, notamment celles qui ont subi la colonisation, en Afrique ou en Inde par exemple, les populations locales revendiquent toutes, à juste titre, la qualité d’indigènes par opposition aux colonisateurs d’origine européenne qui ont accaparé leurs terres et les ont longtemps dominés politiquement et économiquement.

Nous défendons les droits des tous les peuples autochtones et tribaux, mais Survival prend en charge chaque année une cinquantaine de cas spécifiques, chacun lié à un peuple particulier ou à une région particulière, tous impliquant de graves violations des droits de l’homme. Il va sans dire que ces cas, officiellement ‘adoptés’ par Survival, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Il ne serait d’ailleurs pas excessif d’affirmer que tous les peuples autochtones, dans toutes les parties du monde, sont, à un degré ou à un autre, confrontés à certaines violations de leurs droits. Nos ressources étant inévitablement limitées, nous devons malheureusement établir des priorités et décider avec précaution des cas que nous adoptons. Comme beaucoup d’organisations de défense des droits de l’homme, nous ne pouvons malheureusement pas travailler sur l’ensemble des problèmes portés à notre connaissance. Plusieurs critères nous permettent de choisir les cas que nous adoptons et nous révisons très régulièrement notre ‘liste de campagnes’. Survival tend à favoriser les campagnes en faveur des peuples autochtones n’ayant que peu ou pas d’accès aux médias internationaux, aux gouvernements, aux entreprises et aux organismes internationaux tels que les Nations Unies. Nous concentrons également nos efforts sur ​​les peuples autochtones qui ont le plus à perdre, généralement ceux qui sont très récemment entrés en contact avec le monde extérieur ou ceux qui refusent tout contact.

 

© Survival International

 

Est-ce que les peuples isolés ont quelconque contact avec le monde extérieur ? Comment pouvez-vous communiquer avec eux ?

Ils l’ont eu certainement. « Isolé » ne veut pas dire qu’ils demeurent « inconnus » ou « inchangés ». La plupart sont déjà connus et quel que soit leur degré d’isolement, ils s’adaptent en permanence à l’évolution de leur environnement. Beaucoup ont des contacts occasionnels, parfois hostiles, avec les tribus voisines. Ils savent très bien que d’autres sociétés les entourent. La plupart des peuples indigènes qu’on dit “isolés” sont les survivants, ou les descendants de survivants d’actes génocidaires subis dans le passé. Ils refusent tout contact avec le monde extérieur tant les violences, massacres, et épidémies dont leur groupe a été victime sont ancrés dans leur mémoire collective. L’information que nous avons d’eux n’est pas directe: elle nous arrive grâce à des voisins autochtones pas isolés ou par images satellitaires. Même si on sait très peu de choses de ces personnes ce que nous savons avec certitude est leur volonté de rester isolés. Elles accueillent les étrangers ou les avions qui les survolent avec des volées de flèches, ou elles évitent tout simplement le contact en se cachant dans la forêt. Leur volonté de ne pas établir de contact avec les autres tribus ou avec le monde extérieur résulte très certainement de rapports antérieurs désastreux, de l’invasion continue de leurs territoires et de la destruction de leur environnement forestier. Par exemple, les groupes isolés résidant dans l’Etat de l’Acre sont probablement des survivants de l’époque du boom du caoutchouc, durant laquelle de nombreux Indiens furent réduits en esclavage.

 

Nous soutenons le droit des peuples autochtones à l’auto determination: dans ce cas, il faut respecter leur volonté de n’est pas être contactés. Là où leurs droits sont respectés, ils continuent à prospérer.

 
 

 

Pourquoi pensez-vous que ces gens ont besoin de protection ? Quels dangers encourent-ils ?

 

Les tribus isolées sont les peuples les plus vulnérables de la planète. Des groupes entiers sont anéantis par la violence perpétrée par des intrus, qui volent leurs terres et leurs ressources, et par des maladies telles que la grippe et la rougeole contre lesquelles ils n’ont aucune immunité. Il n’est pas rare que jusqu’à 90% de la population d’une tribu succombe à des maladies allogènes dans l’année qui suit leur premier contact.

Des conflits et de violents heurts surviennent souvent comme conséquences de l’activité économique, par exemple le "land grabbing illegal", la construction de barrages et routes, dans les régions où vivent les peuples isolés. De tels conflits ont eu pour conséquence la mort de quelques envahisseurs et de nombreux Indiens. Les quatre derniers survivants de la tribu akuntsu ont été victimes de plusieurs attaques après avoir été les témoins du massacre de leurs semblables et de la destruction de leurs maisons par les bulldozers des éleveurs.

 

© Survival International

 

Certaines personnes parlent même de “génocide” envers ces populations. Partagez-vous cette opinion et pourquoi ?

Oui. Les peuples isolés font face au génocide : tous les peuples isolés sont confrontés à une catastrophe si leurs territoires ne sont pas protégés. Prenons le cas de Yanomami. Durant les années 80, les Yanomamis ont subi l’invasion de leur territoire par plus de 40.000 orpailleurs brésiliens. Ces derniers ont commis des meurtres, détruit de nombreux villages et diffusé des maladies contre lesquelles les Yanomamis ne possédaient aucune résistance immunitaire. En l’espace de sept ans, 20 % de la population yanomami a disparu.
Nous faisons tout notre possible pour sécuriser les terres des peuples isolés et leur permettre de déterminer de leur propre avenir. Une vaste panoplie de forces extrêmement puissantes joue contre elles: les maladies, les routes, les fermiers, les bûcherons illégaux et les éleveurs, parmi d'autres.

Pouvez-vous nous décrire la situation autour des conflits relatifs à la terre et aux ressources naturelles? Qui est propriétaire? Quelle est la position gouvernementale ? 

La spoliation des terres est le plus grand problème auquel doivent faire face les peuples autochtones. A travers le monde, la société industrialisée vole les terres autochtones à la poursuite du profit. Ainsi se perpétuent l’invasion et le génocide qui ont caractérisés la colonisation des Amériques et de l’Australie. Mais pour les peuples autochtones, la terre, c’est la vie. Elle comble tous leurs besoins matériels et spirituels. La terre leur fournit nourriture, habitat et vêtements. Elle est aussi le fondement de l’identité et du sentiment d’appartenance des peuples autochtones. Le vol des terres autochtones détruit des peuples autosuffisants et leurs différents modes de vie. Maladies, misère et suicides en sont la conséquence. Les preuves sont irréfutables.  Ce n’est pas inévitable. Depuis des générations, le droit international reconnaît les droits territoriaux des peuples autochtones. Il est temps que les gouvernements et entreprises respectent cela. La spoliation des terres est un crime grave et fatal. Pour assurer la survie et la prospérité des peuples autochtones, il est indispensable de leur laisser le contrôle de leurs terres. Nous faisons tout notre possible pour le leur garantir.

 

© Survival International

 

 

Quelles sont les actions de Survival International pour venir en aide ou protéger les peuples de l'Amazonie?

 

Nous sensibilisons l'opinion publique, menons des recherches et des campagnes, faisons pression et manifestons. Tous les peuples isolés sont confrontés à une catastrophe si leurs territoires ne sont pas protégés. Nous faisons tout notre possible pour sécuriser leurs terres et leur permettre de déterminer leur propre avenir.
Nous nous opposons à l’affaiblissement des droits constitutionnels des peuples autochtones au Brésil, qui vont avoir un impact sur tous les peuples autochtones de ce pays.

Voir ces nouvelles pour quelques exemples d'actions que nous avons prises récemment en Amazonie et au Brésil..

 

Le 9 Août est la Journée internationale des peuples indigènes. Quel impact a ce type d’action selon vous ?

Nous sommes convaincus qu’une forte mobilisation de l’opinion publique peut avoir un impact réel sur la vie des peuples autochtones et le 9 août peut être une bonne occasion pour rappeler aux gens les terribles violations de droits de l’homme commises contre les peuples autochtones, le racisme et la discrimination auxquels ils doivent faire face. Mais c’est aussi une bonne occasion pour se rappeler des merveilleuses contributions que les peuples autochtones ont fait à l’humanité. Ils ont développé des modes de vie largement autosuffisants et d’une extraordinaire diversité. De nombreux aliments de base et de médicaments utilisés en médecine occidentale proviennent de peuples autochtones et ont sauvé des millions de vies. Ce type d’action peut être utile pour pousser les gens et les gouvernements à réfléchir sur ces questions et à agir pour combattre l’une des crises humanitaires les plus urgentes et les plus terribles de notre époque. Mais il s’agit seulement d’une journée… L’idéal serait qu’on lutte tous les jours pour un monde dans lequel les peuples autochtones soient considérés comme des sociétés contemporaines et où leurs droits fondamentaux soient respectés.

 

© Survival International

 

Comment pouvons-nous, depuis l’Europe, s’engager pour les droits des peuples indigènes ?

Nous sommes un mouvement d’opposition contre les crimes perpétrés par notre propre société, du coup il existe de nombreuses manières d’agir concrètement et chacune d’entre elles aura un impact sur l’avenir des peuples autochtones. On demande à qui nous soutient de s’impliquer en contribuant à sensibiliser le grand public ou à faire un don. Afin de préserver notre intégrité et notre indépendance, nous refusons toute subvention gouvernementale, les gouvernements étant les principales instances qui violent les droits des peuples autochtones. Nous n’acceptons pas non plus de donation provenant d’entreprises qui ne respectent pas les droits de ces peuples ou qui seraient susceptibles de ne pas les respecter. Survival est financée presque exclusivement par le grand public, ce qui représente une exception dans le monde des ONG.

Etre informé de ce qui se passe est fondamental pour agir, du coup nous vous invitons à vous inscrire à notre newsletter. Vous seriez informé de qui commet des abus de droits des peuples autochtones et vous pourriez changer vos comportements, par exemple ne pas faire de tourisme dans certains endroits ou adhérer à un de nos boycottes touristiques (au Botswana ou aux îles Andaman). Tous les jours, des centaines de touristes empruntent la route qui traverse la réserve des Jarawa dans les îles Andaman dans l’espoir de pouvoir observer des Jarawa – les traitant comme des bêtes sauvages de safari!

Écrire des lettres est une manière d’agir aussi. Ecrire à ceux qui détiennent le pouvoir s’est révélé être l’un des moyens les plus efficaces pour obtenir des changements concrets dans leur situation. Les campagnes épistolaires de Survival ont aidé à faire reconnaître les droits territoriaux de nombreux peuples autochtones, à mettre fin à l’exploitation forestière ou minière de leurs terres ou encore à stopper la violence et l’oppression gouvernementales dont ils sont victimes. Vous pouvez joindre votre voix à l’une des campagnes de Survival en signant simplement une pétition en ligne et en la diffusant autour de vous. Les pétitions renforcent auprès de leurs destinataires le caractère international des campagnes que nous menons. Nous avons déjà remis des centaines de milliers de signatures à des gouvernements du monde entier.

Pour aller plus loin:

Visiter le site web de Survival

Visiter le site de la fondation Visocial, financée par nos propres voyageurs.

Propos recueillis par Robin Canela.