Depuis près de cinq mois, je vis à Arequipa. Fréquemment, je vois dans la rue les mêmes visages d’enfants, aux mêmes endroits, aux mêmes moments. Quelques uns d’entre eux sont orphelins ou abandonnés, d’autres viennent de Colombie ou de Bolivie ; nombre d’entre eux sont contraints d’apporter des revenus à leurs familles. Dans toutes les situations ces enfants sont partiellement ou complètement privés d’éducation. Dure réalité pour certains, réalité du pays aujourd’hui pour d’autres, c’est pourtant le quotidien de quelques milliers d’enfants ici. Chaque histoire est différente, mais systématiquement elles se rejoignent aux racines ancrées de la pauvreté.
Pour réaliser ce reportage, je suis notamment allé à la rencontre d’enfants des rues, qui, avec simplicité et courage m’ont décrit leurs quotidiens, leurs conditions de vie et le futur, meilleur, auxquels tous aspirent. Voici le témoignage de l’un d’entre eux, Pablo. Lorsque les feux sont rouges, Pablo et son ami Pedro se mettent en action, à faire quelques acrobaties devant les files de voitures.
"Je suis à ce carrefour environ sept heures par jour 5 à 6 jours sur 7. Essayant de ramener quelques revenus, je suis contraint de travailler pour ma famille, afin que tous nous puissions nous nourrir décemment. Mes parents n’ont pas eu les moyens de m’offrir une éducation normale, notamment du fait que nous sommes 3 enfants. Je travaille ici depuis plus d’1 an et j’espère que mes frères et moi pourrons améliorer notre situation." Précision : il gagne en moyenne 7 à 8 soles par jour et ne connaît pas d’heures fixes ; lorsqu’il pleut, de janvier à mars à Arequipa, il travaille, par absence de choix.
En parallèle, des collègues des bureaux viventura de La Paz et Quito m’ont décrit la réalité qu’ils vivent chaque jour. La situation sur la capitale équatorienne et bolivienne ressemble de près à celle d’Arequipa et de nombreuses villes sud américaines. Pablo, du bureau de La Paz, en Bolivie m’a précisé que, dans ces pays andins, de nombreuses familles rurales émigrent vers la capitale en quête d’une meilleure vie. Cumulant les petits boulots dans la rue, le système D règne souvent dans ces familles et des conditions précaires les accompagnent.
En raison du contexte économique propre au pays, les racines de la pauvreté n’épargnent pas l’éducation, pourtant pilier fondamental du développement ; dans ce cadre, la jeunesse synonyme de richesse est aussi souvent utilisée pour contribuer à apporter des ressources aux familles. C’est chaque jour que je vois des affiches dans la ville, en faveur du respect du droit des enfants, très souvent bafouées (travail des enfants, enfants maltraités…). Malgré de nombreuses disparités, la situation actuelle de l’éducation s’améliore petit à petit. En contradiction avec ces données se heurtent les chiffres de la scolarité moyenne des péruviens : celle-ci plafonne à 14 ans (au total, éducation primaire à tertiaire). Pourtant avec un taux d’alphabétisation de 87,7 % de la population totale, le Pérou ne se classe pas au dernier rang des pays sud-américains en termes d’éducation et d’enseignement .
viSolidaire, l’action sociale de viventura, soutient un établissement scolaire à Arequipa, San Juan de Apostol à Villa Cerillos, depuis 2001. M’y étant rendu à plusieurs reprises, j’ai pu discuté avec des enseignants, des élèves ainsi que la directrice et ai pu visité les salles de classes.
Point de vue essentiel, une enseignante de Villa Cerillos (Arequipa) m’a rapporté un condensé de « sa » réalité, au cœur du système éducatif : "L’aide qu’apporte viventura depuis de nombreuses années a permis à notre établissement de bâtir de bonnes conditions d’étude pour les enfants : les enseignants sont décemment rémunérés, ce qui favorise la qualité de l’enseignement, les enfants bénéficient d’un repas équilibré chaque jour à la cantine, plusieurs salles de classe et niveaux ont été ouverts, afin de permettre à un nombre d’enfants plus large d’accéder à l’éducation. En parallèle, les parents des élèves sont impliqués puisqu’ils forment des équipes et effectuent des rotations chaque mois pour assurer quotidiennement le service de cantine. Des sessions de formation leurs sont destinés pour aider leurs enfants à étudier à la maison (programme d’alphabétisation). L’école bénéficie de l’électricité depuis plusieurs mois, mais nous déplorons toujours l’inaccessibilité à l’eau courante ; le système sanitaire reste en mauvais état."
Les difficultés rencontrées par les familles à scolariser leurs enfants, particulièrement dans les "pueblos
jovenes", sont exclusivement d’ordre financier. Les établissements d’enseignement public sont certes gratuits, mais la cantine quant à elle représente une charge importante, surtout pour les familles de
plus de 3 enfants, très courant dans ce pays.
Un rapport de l’UNESCO pointe plusieurs dysfonctionnements dans le système éducatif péruvien : ces informations m’ont été confirmées à plusieurs reprises, lors de mes entretiens avec les enseignants de San
Juan de Apostol :
- le niveau de qualification des enseignants est faible (la rémunération est peu valorisante)
- le gouvernement privilégie une politique de « taux d’inscription », au détriment de la qualité même de l’enseignement.
- L’important taux de redoublement souligne la faible qualité de l’éducation
- Le nombre d’heures passées à l’école, en comparaison avec d’autres pays est faible (450 h dans les villes, 226 dans les campagnes contre plus de 1750 heures au Japon par exemple).
- Le taux d’inscription des enfants en cycle primaire ne prend pas en considération les abandons en cours d’année scolaire.
- Les niveaux nutritionnels faibles pour 49% de la population au Pérou ne permettent pas aux enfants d’étudier dans des conditions "normales" (manque de concentration, de motivation…).
Le Pérou ouvre pourtant une ligne d’horizon éducationnelle digne des ambitions du pays : « le projet éducatif national 2021 » dessine le futur de l’éducation au Pérou en 2021 tel que se l’imaginent les dirigeants. Parmi les différents objectifs de la « refonte » du système éducatif figurent :
- Des opportunités et résultats éducatifs égaux pour tous
- Des étudiants et des institutions qui bénéficient d’apprentissages pertinents et de qualité
- Des personnels de l’éducation bien préparés qui exercent de façon professionnelle leur métier
- Une gestion décentralisée, démocratique, qui atteint des objectifs et qui est financée avec équité
- Un enseignement supérieur de qualité qui se révèle être un facteur favorable pour le développement de la compétitivité nationale.
J’espère donc que ces mesures prendront effet rapidement afin de pouvoir, dans le futur, apprécier les acrobaties des enfants rencontrés lors de mes balades à Arequipa non plus dans les rues mais dans les cours d’écoles.